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A quatre heures trente, l’infirmière Zelda Markey fut appelée dans le bureau du Dr Lane. Elle savait ce qui l’attendait : elle allait se faire passer un savon, et elle en connaissait la raison : Greta Shipley s’était plainte à son sujet. Très bien, elle était prête !
Regardez-le, pensa-t-elle avec mépris, tandis qu’il lui lançait un regard noir de l’autre côté du bureau. Je parie qu’il n’est même pas capable de faire la différence entre la rougeole et la varicelle. Ou entre des palpitations et une insuffisance cardiaque.
Il fronçait les sourcils, mais les gouttes de sueur qui apparaissaient sur son front indiquèrent à Zelda Markey combien cet entretien le mettait mal à l’aise.
Elle décida de lui faciliter la tâche, sachant que la meilleure défense est toujours l’attaque.
« Docteur, commença-t-elle, je sais exactement ce que vous allez me dire : Mme Shipley me reproche d’entrer chez elle sans frapper. La vérité est que Mme Shipley s’assoupit souvent ces derniers temps, bien plus fréquemment que les semaines précédentes, et je me suis un peu inquiétée. C’est sans doute de sa part une réaction émotionnelle au décès de plusieurs de ses amies, mais je puis vous assurer que je n’ouvre cette porte qu’après avoir frappé plusieurs fois en vain. »
Une lueur d’incertitude traversa le regard de William Lane. « Je vous suggère dans ce cas, mademoiselle Markey, si Mme Shipley ne répond pas après un délai raisonnable, d’entrouvrir la porte et de l’appeler. Il est vrai que cette affaire semble sérieusement la perturber, et je veux y mettre fin avant qu’elle ne se transforme en réel problème.
— Mais, docteur, si je n’étais pas entrée dans sa chambre il y a deux nuits, lorsqu’elle a eu cette crise, un malheur aurait pu arriver.
— La crise a été passagère et sans conséquence. J’apprécie votre diligence, toutefois, je ne peux tolérer ces réclamations. Nous nous comprenons bien, n’est-ce pas, mademoiselle Markey ?
— Parfaitement, docteur.
— Mme Shipley assistera-t-elle au dîner ce soir ?
— Oh, certainement ; non seulement elle y assistera, mais elle a une invitée, Mme Holloway. La belle-fille de Mme Moore, cette pauvre femme qui a été assassinée. Mme Lane a été prévenue. Il paraît que Mme Holloway profitera de sa venue ici pour emporter le matériel de dessin de Mme Moore.
— Je vois. Merci, mademoiselle Markey. »
Dès qu’elle eut quitté la pièce, William Lane prit le téléphone et appela sa femme chez eux. « Pourquoi ne m’as-tu pas dit que Maggie Holloway dînait ici ce soir ? dit-il sèchement dès qu’elle décrocha.
— En quoi est-ce tellement important ?
— L’important, c’est… » Lane serra les lèvres et respira profondément. Mieux valait taire certaines choses. « Je veux savoir quels sont les invités qui viennent dîner, dit-il. Pour la simple raison que je veux être présent pour les accueillir.
— Figure-toi que je le sais, mon cher. Et que j’ai pris des dispositions afin que nous dînions à la résidence ce soir. Mme Shipley a refusé avec une certaine mauvaise grâce de venir avec son invitée à notre table. Mais au moins pourras-tu bavarder avec Maggie Holloway avant le dîner.
— Bien. » Il resta un moment silencieux, comme s’il voulait ajouter autre chose sans pouvoir s’y décider. « Je serai à la maison dans dix minutes.
— Ce serait utile si tu veux te changer. » Le rire perlé d’Odile l’agaça.
« Après tout, chéri, si le règlement stipule que nos hôtes doivent s’habiller pour le dîner, il me semble que le directeur et son épouse sont tenus de donner l’exemple, tu ne crois pas ? »